lundi 30 mai 2016

Lettre au Sénateur-Maire de Douarnenez : une agriculture sans néonicotinoïdes est possible

Communiqué d'Annaïg Baillard, administratrice de Capbio



Monsieur Philippe Paul, vous êtes un procrastinateur !
Faisant suite à votre déclaration dans le journal sur les motifs qui vous ont incité à voter au Sénat en faveur des néonicotinoïdes (produits insecticides hautement toxiques), je me permets d’intervenir en tant qu'administratrice de l'association Capbio de Douarnenez, qui défend depuis de longues années une agriculture respectueuse de l’environnement, des personnes et des animaux.
Vous écrivez, Monsieur Le Maire, avoir fondé, entre autres, votre décision sur une phrase dite par l’écologiste Barbara Pompili, lors de la réunion du 12 mai 2016 au Sénat. Cette phrase, extraite du compte-rendu, donne à croire que la Secrétaire d’état à la biodiversité recommande de continuer comme si de rien n’était. Ce qui n’est pas le cas. En première instance de son intervention, elle rappelle et confirme, preuves à l’appui, la dangerosité de ces produits et de la nécessité de cesser leur utilisation dans un délai assez court. S’ensuit plusieurs interventions, les siennes et celles des autres sénateurs présents. Je recommande la lecture intégrale du compte–rendu accessible sur internet : https://www.senat.fr/seances/s20165/s20160512/s2016051208.html.
Le compromis et choix du gouvernement sera, au final, de laisser du temps aux utilisateurs de ces produits de mettre en place des alternatives qui, elles, existent bel et bien. La date butoir étant 2018 pour informer et mettre en place de nouvelles méthodes.
En complément d’information, est-il possible aujourd’hui de se passer des néonicotinoïdes en agriculture ? Voici en substance la réponse des parlementaires européens ayant participé à la commission organisée au Parlement Européen en mars et qui avait pour thème : "Une agriculture respectueuse des pollinisateurs est possible". Cette commission réunissant bon nombre d’acteurs politiques et scientifiques qui travaillent depuis longtemps sur le sujet. La commission reprend les informations très fructueuses et innovantes sur le sujet. Une liste d’exemples qui recueille des informations sur les alternatives aux pesticides est à disposition sur le site bee-life.eu/fr/dossier/576/
Dans le compte-rendu de leur enquête ayant servi de base aux travaux de la commission on peut y lire :
« L’utilisation des néonicotinoïdes est souvent injustifiée. En effet, ces insecticides sont couramment utilisés en tant que traitements préventifs. Cela signifie que les néonicotinoïdes luttent le plus souvent contre des insectes qui ne sont pas présents. De plus, quand il y a lieu de traiter car il y a présence de ravageurs, ces derniers causent le plus souvent de faibles incidences en termes de pertes économiques et de pertes de productions (par exemple pour le maïs). Les néonicotinoïdes sont dangereux. L’imidaclopride, le thiaméthoxame et la chlothianidine présentent un risque élevé pour les abeilles et l’environnement. Cela signifie que ces produits ne sont pas conformes à la législation européenne sur les pesticides. Ces risques ont été identifiés par l’EFSA2 basé sur de publications scientifiques solides et indépendantes.
Les pertes de production et d’emploi annoncées ne se basent pas sur la réalité et sont vouées à susciter la peur chez les décideurs politiques. L’industrie phytopharmaceutique a annoncé des pertes de 17 milliards d’euros en cinq ans et de 50000 emplois si les néonicotinoïdes étaient retirés du marché. Ces données ne sont cependant pas validées scientifiquement. De plus, l’industrie omet de mentionner qu'en Europe la valeur des
pollinisateurs pour la production alimentaire, seulement en terme de pollinisation est de 27 milliards d’euros par an en termes de services de production alimentaire.
Existe-t-il des solutions alternatives ? De simples techniques culturales permettent d’éviter l’usage des néonicotinoïdes et de garder les mêmes niveaux de production.
La rotation de cultures, l’association de variétés de plantes, la stimulation d’insectes auxiliaires ont fait leurs preuves. Si ces pratiques agricoles ne peuvent pas être mises en place ou si l’utilisation des pesticides est justifiée, alors la lutte biologique (apport de prédateurs naturels) est une solution. La lutte biologique est actuellement plus coûteuse que l’utilisation des pesticides car l’usage massif des néonicotinoïdes bloque le marché et empêche les économies d’échelles pour les producteurs d’alternatives.
Comment assurer un meilleur avenir ? De manière générale, les pesticides cachent les vrais problèmes que sont la mauvaise santé de l’agro-écosystème et les mauvaises pratiques agricoles. Il est nécessaire de : rétablir des synergies entre le sol, les plantes et les animaux au coeur de la formation des agriculteurs, des techniciens agricoles et des chercheurs. Relier des chercheurs, des agriculteurs et des entreprises, qui ont mis en place de nombreuses initiatives soutenables et qui démontrent la réussite de systèmes agricoles sans pesticides, rentables et qui produisent en suffisance. Les néonicotinoïdes ont de sévères effets négatifs sur les pollinisateurs. »
 

Nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas. Nous pourrions espérer que lorsque nos décideurs politiques estiment ne pas détenir suffisamment d’information « scientifique » pour déterminer le degré de dangerosité de certains produits, qu’ils auraient la sagesse de ne pas se prononcer en faveur de ces produits, sauf à vouloir prendre le risque de s’entendre reprocher plus tard d’avoir mis en danger la vie d’autrui ! Je m’étonne enfin de vous voir procrastiner avec le gouvernement !